samedi 22 janvier 2022

Milan KUNDERA - La vie est ailleurs



Un Milan Kundera inconnu, déniché par hasard dans une boite à livres, ne peut laisser indifférent qui a lu par le passé, et apprécié, une grande partie de ses ouvrages, L’insoutenable légèreté de l’être, bien sûr, mais aussi La lenteur, L’immortalité et quelques autres. Son dernier ouvrage paru en 2014, La fête de l’insignifiance, avait un peu déçu, mais l’avait-on bien lu ? Pour en avoir le cœur net, l’heure était venue de reprendre contact avec l’œuvre de l’écrivain, ne serait-ce par le moyen d’un simple livre de poche Folio datant de 1993 avec ce titre énigmatique La vie est ailleurs. 480 pages écornées et défraîchies, la tranche jaunie, mais l’illustration de couverture intacte représentait une œuvre de Picasso, Femme couchée lisant.

Découverte en fin de lecture, la postface de François Ricard (1978) explique avec clarté comment l’auteur, sous le couvert d’un simple récit, la vie du lambda Jaromil de la conception à sa disparition, met le lecteur «  en question de manière irrévocable. S’y livrer, y consentir, c’est risquer d’être entraîné beaucoup plus loin qu’on ne l’aurait d’abord cru, jusqu’à une sorte de limite de la conscience. » La vie est ailleurs n’y déroge pas. La table en début d’ouvrage, Le poète naît… Le poète se masturbe… Le poète court… Le poète est jaloux.. Le poète meurt… annonce clairement le sujet de l’ouvrage : la poésie.
La poésie est-elle un état inné ou acquis ? Quand votre cour d’admiration se résume à votre propre maman, qui note la moindre de vos sorties, célèbre votre première rime,  on va dans les bois, le cœur est en joie, dans un contexte clos réduit au couple mère-fils en l’absence du père, où chacun a besoin de l’autre en même temps qu’il le contrôle, quand l’échange se réduit à la marge en se cachant l’essentiel, le manque apparaît, le besoin de s’ouvrir, de s’offrir à d’autres devient essentiel et le premier venu, pour peu qu’il dispose d’un peu de savoir faire, un simple peintre lui-même à la recherche de son propre art, sera le bienvenu, comme tous ceux qui suivront Tel sera le destin du jeune poète : à la recherche de la moindre satisfaction, « En même temps, il était flatté ; le peintre le présentait en disant qu’il écrivait des vers excellents et parlait de lui comme si ses invités le connaissaient déjà par ouï-dire », gauche d’inexpérience dans sa propre quête, prêt à porter le flambeau du jusqu’au-boutiste, mais incapable apporter le bonheur autour de lui, cible des profiteurs dont le seul talent sera de savoir arriver à leurs fins, il disparaîtra sans laisser de traces. À son image, certains qui ont partagé sa route ne se sont pas arrivés à leurs fin et sont tombés dans l’anonymat, d’autres qu’il avait déçus ont pris un autre chemin, conscients peut-être que La vie est ailleurs.
«  Seul le vrai poète sait comme il fait triste dans la maison des miroirs de la poésie…Mais attention ! Dès que les poètes franchissent par erreur les limites de la maisons des miroirs, ils trouvent la mort, car ils ne savent pas tirer, est s’ils tirent ils n’atteignent que leur propre tête. »


Titre  : LA VIE EST AILLEURS

Auteur : Milan KUNDERA

Edition : Folio

Dimension : 11X18 cm

Nombre de pages : 480 pages 

ISBN :
978-2-07036834-3

Publication : septembre 1976


vendredi 24 décembre 2021

Dante ALIGHIERY - La Divine Comédie



"Dante, sept cents ans et pas une ride", titrait le mensuel Panorama dans sons numéro de septembre 2021. "Il espérait que son œuvre lui survivrait. Sept cents ans après sa mort, ses récits irriguent l'imaginaire occidental", enchérissait l'hebdomadaire Télérama, dans un récent numéro. Il n'en fallait pas plus pour titiller la curiosité de l'ami Ed. de faire connaissance avec ce prestigieux précurseur.

L'hebdomadaire faisait la promotion des 1520 pages de 
La Pléiade pour un montant  de 62,00€. Parmi les quatre propositions du mensuel, le choix se portera finalement sur une version moins prestigieuse mais tout aussi nouvelle, une traduction annotée de Danièle Robert, 928 pages, seule traduction, d'après le mensuel, respectant la versification originale. Proposée par les Éd. Actes Sud en format poche (collection Babel), elle aura coûté 13,50€.

Le contenu

L’ouvrage débute par une préface détaillée (260 pages) de la traductrice Danièle Robert. L’ignorant qu’est tout lecteur avant d’ouvrir le livre serait tenté de sauter directement l’avant-propos et d’attaquer sans préambule le sujet, le texte. Qu’on s’en garde bien car se trouvent là les clés d’une bonne lecture.
On y apprend :
que l’œuvre est tout entière placée sous le signe des chiffres 1 ,3 et de leurs multiples dans les 14233 vers qui relatent le long parcours de l’écrivain dans le monde qui succède à la vie ;
que cette déambulation guidée par des témoins, Virgile, Béatrice... se déroule en trois temps appelés cantiques (cantiche) : l’Enfer, le Purgatoire et le Paradis ;
que chaque cantique est lui-même divisé en trente-trois parties appelées chants ;
que la prédominance du chiffre trois est encore visible dans le choix de la cellule de base, la terzina, strophe de trois hendécasyllables – soit trente-trois syllabes – liés par un jeu de rimes entrelacées par trois ;

                Ce un et deux et trois qui toujours vit,
                et toujours règne en trois et deux et un
                non circonscrit et qui tout circonscrit …

que ce délicat enchevêtrement des rimes entre les terzine donne au poème une sorte de rythme qui amplifie le temps comme le ferait une œuvre musicale ;
enfin que la relation du 3 au 1 se retrouve à la fin de chaque chant sous la forme d’un vers isolé qui ouvre la voie (et la voix) du chant suivant induisant par là un rythme de valse… (" un, due, tre…")
Une analyse technique qui montre le niveau des contraintes que le poète Dante s’est imposées et, en conséquence, la hauteur de la performance accomplie par l’auteur.
À moins d’être un génie doté d’une mémoire et d’une culture exceptionnelles, devant la densité de l’œuvre et les multiples allusions aux acteurs du passé historique, mythologique, de la Bible ou de l’histoire récente des provinces romaines, le lecteur pourrait perdre pied. Plus de deux cents pages de notes, classées par chant, une quinzaine en moyenne, apportent les éclaircissements nécessaires à la compréhension de certains passages. Une biographie de Dante, une bibliographie et la table complètent l’ouvrage.

Danièle Robert, la traductrice

Sa brève biographie en début d’ouvrage atteste que l’intégrale de La Divine Comédie est l’aboutissement d’un travail de longue haleine, précédé par trois publications bilingues, Enfer (2016), Purgatoire (2018), Paradis (2020). Outre le fait qu’elle regroupe les trois cantiques en un seul recueil, la nouvelle Divine Comédie de Danièle Robert, si elle s’est allégée du texte d’origine, porte une particularité unique, selon le mensuel Panorama, d’être la seule traduction respectant la versification originale. Alors, RESPECT ! Ce travail gigantesque permet au lecteur de pagayer au rythme de l’ouvrage pour mieux en percevoir la substance. Déjà primée plusieurs fois pour d’autres traductions d’Ovide et de Guido Cavalcanti. La récente traduction de La Divine Comédie qu’elle a donné à Actes Sud... a fait l’objet d’un remarquable accueil critique.

L’ouvrage

Publié au format livre de poche, s’il n’a pas la prestance d’un exemplaire de la Pléiade, l’ouvrage a pourtant de la classe pour son prix très abordable. Sur papier fin (50g) au fond légèrement crémé, peu de transparence, sobre dans sa présentation, il a la préciosité d’une bible ou d’un missel et impose le respect. La finesse des caractères ne gène en rien la lecture, même pour les notes en fin d’ouvrage. La lecture terminée, les pages intérieures sont intactes, si les coins de la couverture sont légèrement écornées par le nombre de manipulations, le livre garde son cachet. On cherche encore les défauts, un livre qui a toute sa place dans la bibliothèque personnelle, pas sûr qu’on l’oublie. Merci ! 


Titre : La Divine Comédie

Auteur : Dante ALIGHIERY

Édition : Babel

Publication : mars 2021

Dimensions : 11X18 cm

Nombre de pages : 922 pages

Prix public : 13,50€

ISBN : 978.2.330.14769.3 


samedi 16 octobre 2021

Bienvenue sur Les Livres d'Ed.

Rien à vendre. Aucun engagement, ni contrainte. Simplement des notes de lecture des livres que j’aime un peu, beaucoup passionnément, à la folie, pas du tout.
Après un silence de sept ans, quel hasard me ramène ce 12 octobre 2021sur ce site délaissé depuis plusieurs années ?
Bref, l'essentiel est d'y revenu avec en main un livre datant de sept ans, écrit par une inconnue des médias lors de sa sortie en 2014, par une maison d'édition régionale, Mines de Rien, basée dans les Charentes.
Possibilité de créer des liens vers ces pages, copie autorisée pour usage personnel uniquement. Merci.
....................................................................................................................................... Ed.

« Le livre que j’ai mûrement choisi et dont je vais me repaître, je l’ouvre avec respect. Je sais qu’il a demandé à son auteur des mois, peut-être des années de travail. Il a pesé chaque mot, examiné et réexaminé chaque phrase - sa structure, son rythme, sa musicalité, son adéquation à ce qu’elle doit traduire ...
(...)
Certains livres nous hissent très haut, d’autres nous plongent au fond du gouffre, là où il ne faut pas manquer de descendre. En nous faisant découvrir des régions de l’être humain et des aspects de la société que nous ignorions, ils nous poussent à nous ouvrir davantage, à devenir plus tolérants, à savoir mieux accepter ce qui diffère de nous.
Écrivains morts ou vivants, vous qui m’avez aidé à me construire, qui m’avez réconforté, épaulé, nourri, qui m’incitez à creuser davantage, je pense à vous avec ferveur, tendresse, reconnaissance. Pauvre et désolée aurait été ma vie si vous ne l’aviez généreusement fécondée. »
Charles Juliet, Lumières d’automne, Journal VI, 1993-1996, P.O.L., p 87

Marie-France THIERY-BERTAUD - Les Violons du Marais

Quel hasard me ramène sur ce site délaissé depuis plusieurs années ? Saturation ? Autres activités ?  Manque de temps ? Bref, l'essentiel est d'y revenu avec en main un livre datant de sept ans, écrit par une inconnue des médias lors de sa sortie, par une maison d'édition régionale, Mines de Rien, basée dans les Charentes. 

Pourquoi cet ouvrage pour initier la renaissance du site ? Peut-être, le souvenir ancien de cette auteure rencontrée lors d'un salon littéraire local. La première passion de Marie-France Thiery-Bertaud l'a conduite à l'écriture d'ouvrages de recettes de cuisine régionale de son terroir du Poitou-Charentes-Vendée. Les Violons du Marais est son premier roman publié en 2014.

Une dimension régionale…

Une première impression vient à l’esprit dès les premières pages, c’est la simplicité sous toutes ses formes, autant par le récit, la mise en page, le style, en phase complète avec les  personnages du roman, bruts et vrais. Des personnages au quotidien occupé tout entier à survivre dans les années 20 de 1900 et réparer les dégâts de la guerre dans un pays économiquement affaibli. Sans détours, ni diversions, dans un style dépouillé et direct, Marie-France Thiery-Bertaud tisse les fils de son histoire avec les mots des gens simples et cela donne un texte agréable à la lecture, sans le moindre ennui. Faire autrement aurait été déplacé. Un texte enrichi pas les coutumes, les valeurs locales des terroirs qu’elle a parfaitement exploitées.
Dans cet environnement affaibli où chacun tente de se relever, Louise, l’héroïne, quitte par choix le marais vendéen de ses origines pour joindre les bords de la Charente. Un choix nécessaire : la vie ici ne lui permettait plus, sans un sacrifice auquel elle ne se résolvait pas, de vivre la vie qu’elle désirait.

Pour les autochtones, les gens qui viennent d’ailleurs sont des perdants puisqu’ils n’ont pu vivre dans leur terroir, on s’en méfie, on les épie… parfois aussi on les accueille, comme des aubaines quand ici on a perdu des raisons de vivre. Voici la vie qui attend Louise. Dans une composition très documentée, en même temps que le jeune femme, au fil du texte, le lecteur s’imprègne de la vie quotidienne dans les Charentes du début du XXième siècle, l’importance du fleuve, les coutumes, les conséquences du progrès, les modestes et les nantis, etc.

Qui touche à l’essence de l’existence…

Mais l’ouvrage va plus loin que les particularités locales, il touche à l’essentiel de la vie en nous plongeant dans les réalités des existences, les dures conditions du travail, les difficultés engendrées par les évolutions, les catastrophes  qui brisent les projets, la difficulté de pardonner, les dérives dans les familles, mais en évoquant aussi l’amitié, la bienveillance, l’amour et les projets… Et cela suffit à faire un bon livre, qu’on lit d’une traite, quand l’histoire est bien construite. Premier roman réussi.

Et laisse le lecteur sur sa faim.

La fin de roman provoque la faim du lecteur. Un départ qui n’est pas un retour aux sources du marais, un départ qui n’est pas nécessité et cependant voulu, comme un besoin de voir ailleurs pour construire quelque chose. De nouvelles aventures en perspective qu’on aimerait partager avec l’héroïne. Il fallait juste faire preuve d’un peu de patience. Un an après, Les Violons du Marais seront suivis d’un deuxième ouvrage, Les Violons de la  Rivière Rouge (octobre 2015) et d’un autre un an pus tard Et que Vibrent les Violons (octobre 2016).

Avant un destin national.

L’histoire aurait pu s’arrêter là ! La trilogie (épuisée) sera reprise en 2018 par une maison d’édition nationale, France Loisirs, sous un seul volume Les amants de la rivière rouge sous le pseudonyme  Marie-France Desmaray ? Une belle histoire, oui !  


Titre : Les Violons du Marais

Auteur : Marie-France Thiery-Bertaud

Édition : Mines de Rien

Publication : novembre 2014

Dimensions : 14,9X21cm

Nombre de pages : 200

Prix public : 15,00€

ISBN : 978.2.917848.37.1 





mardi 3 décembre 2013

Léonora MIANO, prix Fémina 2013


La lauréate du Prix Fémina 2013 était annoncée de longue date. Devant l’affluence prévisible, l’organisation a ajouté une centaine de chaises et des coussins au sol pour les plus lestes. L’entrée se fait dans la pénombre. Seules sont éclairées dans un coin deux chaises et une petite table portant deux micros. Devant celui de gauche une pile de livres, devant l’autre un seul. Impassible, le regard un peu perdu, l’animateur debout observe l’assistance, puis il s’assoit devant la pile et annonce son invitée. Celle-ci surgit de l’obscurité, diaphane car sombre sur sombre, avant de prendre corps sous la lumière et susurrer un bonsoir inaudible.
Dans son préambule flou, l’animateur présente d’une parole hésitante l’écrivain avant d’entrer dans des considérations confuses sur l’œuvre, puis de s’arrêter net. Léonora Miano s’inquiète : « Il faut répondre ? » Mais non, ce n’était pas une question. Place à la lecture qui portera sur La saison de l’ombre, le dernier ouvrage publié.
L’assemblée retient son souffle. L’invitée saisit le livre, l’ouvre au premier signet et attend, tête baissée, que les derniers retardataires en train de se poser « se calment ». Froid dans l’assistance, le public est au pas. Enfin elle entame les premières phrases, d’une lecture lente, timbre de flute de pan aux sonorités graves, une parole venue du fond. Sous la lumière plongeante, les traits du visage se font indistincts. Quel œil cache-t-elle derrière les bords épais de ses lunettes ? Un doute ! Lit-elle vraiment ou dit-elle comme si le texte était en elle ? Effet de lumière probablement. Si ce n’est un toussotement isolé, aucun bruit dans la salle, l’assistance se tient à carreaux. Fin du premier extrait.
En un geste ralenti à l’extrême, la lectrice saisit le signet suivant entre le pouce et l’index et fait pivoter les pages. Tête immobile, elle concentre son regard sur la nouvelle page. Les mouches s’abstiennent de voler. Chaque geste est mesuré, y aurait-il dans le texte un enfant qu’il ne faudrait pas éveiller, un être si fragile pour que le livre soit manipulé avec tant de précaution. La lecture reprend.
Un peu plus tard, fin d’une autre séquence. La lectrice retourne le livre ouvert, le pose avec délicatesse sur la table, saisit avec lenteur la petite bouteille d’eau, dévisse le bouchon, verse une rasade dans le grand verre mis à sa disposition, revisse le bouchon, saisit le verre pour avaler une gorgée, le repose, puis retourne l’ouvrage.
Voilà qu’au milieu d’une phrase un participant est pris d’une quinte de toux. Léonora Miano s’arrête, lève les yeux sous l’agression, puis reprend lorsque la perturbation cesse. Dans l’assistance commence l’épreuve, la crainte d’un picotement de gorge ou le réveil d’une vieille allergie qu’il faudrait évacuer bruyamment. Et cela nuit à l’écoute et fait perdre le fil.
La lecture s’allonge, va au-delà de la moyenne, insensible au temps qui passe. Le point final surprend à la naissance d’une phase d’assoupissement. La séance a dépassé le cap de l’heure. Applaudissements.
Retour de l’animateur. Questions ? Pas de question ! Quel téméraire oserait se mettre en avant pour dégeler l’état de tétanisation causé par la lecture. L’animateur n’est pas un perdreau de l’année, il avait prévu le coup et lance une question pour amorcer. Il s’interroge sur cette phrase de la quatrième de couverture : « Nous sommes en Afrique subsaharienne, quelque part à l’intérieur des terres ». « Subsaharienne », pourquoi ce mot ? « Quelque part » pourquoi ce choix ? Et l’on découvre une autre Léonora, celle qu’on avait déjà appréciée à la radio, avant le prix. La voix se fait plus forte, le débit plus rapide, la parole facile, la langue d’une grande pureté et la passion retenue vient à la surface. La militante exprime sa retenue devant l’Afrique « noire », un morceau de continent découpé et dénommé par la colonisation, mais porté par une certaine unité. Du Sahara à l’Afrique du sud, l’origine et le vécu présentent des points communs et font lien. Le « quelque part » de l’ouvrage y trouve partout sa place. Les questions arrivent désormais en un compte-gouttes régulier, ce qui permet à l’invitée de préciser le but de l’ouvrage « c’était à l’Afrique de raconter l’histoire de ce qui s’est passé dans son intimité » et c’est bien cela qui transparait, au fil de chaque évocation, remettre au net le curseur, reprendre en main son identité qui ne sera jamais mieux portée que par soi-même.
Par son œuvre comme par son discours, Léonora Miano fait partie de femmes puissantes, à l’image de Marie N’Diaye, Fatou Diome, Schoslastique Mukasonga, ou Yanick Lahens en Haïti. Elles ont entrepris, par le biais de la culture et de l’écriture, un immense chantier, celui de porter haut et fort le continent africain en même temps que ceux qui y vivent. En cela, elles esquissent ce que sera l’Afrique de demain : majeure et incontournable. Et si la langue française peut les soutenir, tant mieux et merci !



Titre support : LA SAISON DE L’OMBRE – Prix Fémina
Auteur : Léonora MIANO
Éditeur : Grasset
Publication : 28 août 2013
Format : 14X20,5 cm
Nombre de pages : 235
Prix : 17,00€
ISBN : 978-2-246-80113-9



vendredi 29 novembre 2013

Jacques LANZMANN – Les Transsibériennes


Avec un tel titre, connaissant l’infatigable globe-trotter qu’était Jacques Lanzmann, on pouvait s’attendre à une pure immersion, par des chemins sans fin, dans les paysages sauvages de cette immense contrée. Et l’on a faux ! Complètement faux ! Lorsqu’ils viennent sur le devant de la scène, les grands espaces sont traités sommairement à force de clichés, descriptions passe-partout, auxquels viennent se mêler le sempiternel froid sibérien et la tension du pouvoir soviétique.
Le train mythique sert de décor à un huis clos où se débattent parmi quelques comparses un homme et une femme dans un jeu amoureux, du type chat entreprenant face à souris complaisante. Un amour de passage assaisonné d’un jeu de postures que l’on a du mal à suivre. Comme si on voulait arriver au but en faisant tout pour ne pas y arriver. Une affaire banale si elle n’avait été perturbée par l’arrivée de l’épouse. Une histoire où, à tour de rôle, chacun prend l’avantage pour le perdre à la page suivante. Une intrigue au souffle court qui ne résistera pas à la longueur d’un trajet de rêve qui méritait mieux.
Lors de sa sortie à l’aube des années 80, dans un autre contexte sociétal et politique, un monde où la communication filait à la vitesse du train, ce type de roman pouvait trouver ses lecteurs. Les grands ouvrages résistent au temps et marquent leur époque parce qu’ils labourent profond. Dans son décor de carton pâte, porté par une intrigue poussive proche de l’abracadabrantesque, Les Transsibériennes ne présentent guère d’intérêt à la lecture aujourd’hui. Un livre à oublier ! L’aventurier touche-à-tout Jacques Lanzmann, auteur prolifique d’une cinquante d’ouvrages, sans compter les à-côtés, devra avoir produit mieux pour rejoindre la bibliothèque personnelle.



Titre : LES TRANSSIBÉRIENNES
Auteur : Jacques LANZMANN
Éditeur : Robert Laffont (Le Livre de Poche)
Publication : 1978
Pages : 218
Dimensions : 11X17cm
Prix :
ISBN :








mardi 18 juin 2013

Vassili GOLOVANOV - Espace et labyrinthes



Dans son Éloge des voyages insensés*, Vassili Golovanov nous entraînait vers les argiles désolées de l’île de Kolgouev, cent ans après l’explorateur Trevor-Battye, en un voyage au bout de l’extrême dans l’espace et le temps. Livre retournant chaudement couvé dans la bibliothèque personnelle. Que pouvait-il nous offrir de plus ? Réponse : de grands espaces et un labyrinthe aux confins d’existences capturées au plus près de la source.
Dans cette série de textes d’Espaces et labyrinthes comme autant d’aventures, peut-on parler de nouvelles quand il s’agit d’une quête des origines, point commun de ces fragments, tous enrichis d’une profonde recherche documentaire. L’explorateur ne part pas au hasard vers les limites de la vie sans avoir préparé sa besace à capter la substance qu’il tire habilement de ces lieux et qu’il nous restitue richement habillée de sa belle écriture. Dépaysement assuré pour le sédentaire lecteur, émotion empreinte d’admiration pour cette remise en selle de lieux perdus, oubliés, mais sources d’existence.
Ainsi commençons-nous par remonter jusqu’à la source de la Volga où Golovanov entraîne sa propre fille, elle-même en quête d’un fleuve dont sa grand-mère lui a beaucoup parlé. Prodigieuse récompense pour l’écrivain lorsque sa fille écrit sur le livre d’or « que jamais de sa vie elle n’avait vu la Volga aussi belle ». Apothéose pour l’écrivain aventurier « Lorsqu’elle me l’a dit, j’ai compris que j’étais absous pour les siècles des siècles ».
Ce premier texte intitulé La source est une mise en bouche qui nous conduit sans transition au delta du même fleuve, là où la rivière donne naissance à la Gaspienne, puis à la conquête de la montagne Bogdo, « montagne sacrée des Kalmouks », colline de 149 mètres au dessus du niveau de la mer, dont l’ « élévation au-dessus de la steppe sans fin est si inattendue et si lourde de sens … que ni le nom de montagne donné à cette colline, ni la sainteté qui lui est attribuée ne semblent exagérés ».
Au quatrième texte, une autre dimension s’ouvre au lecteur. Nous voilà invités à suivre l’écrivain dans une singulière propriété en état de délabrement avancé, le parc de Priamoukhino où un petit groupe de jeunes anarchistes tente de restaurer le pavillon du parc, « nous allons inventer un musée. Même si un jour, le domaine est complètement reconstruit, il ne pourra être classé que grâce à cette ruine : l’Unesco ne reconnaît que les vestiges ». Nous sommes dans le berceau de la famille Bakounine où naquit et grandit un certain Mickaïl du même nom, fondateur de l’anarchisme russe. Dans une étude fouillée, Vassili Golovanov mêle habilement histoire, géographie, philosophie et découverte dans un texte savoureux qui nous entraîne vers un domaine d’exploration inhabituel. Et l’on comprend sous la plume de l’explorateur écrivain toute la charge portée par le lieu, double berceau, de l’anarchiste et de l’anarchisme.
Les deux derniers textes sont de la même facture. Bien qu’on soit un peu perdus dans la géographie de ces grands espaces, dans les patronymes russes toujours très compliqués, la communication via le texte s’établit entre l’auteur et le lecteur dans le Journal de Touva, une vision de l’Asie comme celle d’un berceau où l’on suit volontiers l’explorateur à la recherche des sources du chamanisme. Il en est de même de cette ville de Tchevengour, chère à Platonov, explorée sur le terrain livre de Platonov à la main, à la recherche de ces « gueux », des laissés pour compte en quête de bien-être.
Que cherche donc l’explorateur Golovanov, loin des bruissements de la vie actuelle, dans ces lieux perdus, oubliés, insignifiants à la limite de l’inexistence ? Ce livre ressemble à une quête passant par des chemins détournés, dans les traces du chamanisme, des anarchistes ou des gueux de Platonov, une quête aux confins de l’existence. Mais l’écrivain ne se livre pas, il se contente de décrire, montrer, mettre en avant, expliquer, suggérer, en laissant au lecteur son libre-arbitre. Mais derrière tout cela, à travers les choix de l’auteur et la masse de travail fourni, il n’y a qu’un pas à franchir pour imagine l’homme Golovanov à la recherche du sens de sa propre existence avec en filigrane un rejet de la société actuelle. Simple hypothèse, pourrait-on objecter sauf qu’à quelques pages de la fin, l’écrivain s’engage et nous livre son sentiment en guise de conclusion : « Platonov paraphrase Spengler – " l’avenir appartient à la civilisation, non à la culture : l’avenir sera conquis par l’homme spirituellement mort, intellectuellement pessimiste " – mais ne peut se résigner à ce constat. Moi non plus bien qu’on soit déjà entouré d’une foule d’individus spirituellement morts en effet, déjà incapables de compassion, d’empathie, de gaité normale, de largesse ou de générosité. C’est pourquoi les héros du roman**, en dépit de tout, me sont proches et chers. Et plus encore les gens croisés sur notre chemin, qui nous ont apporté la confirmation irréfutable de l’authenticité non fictive des Tchevengouriens ». Terrible constat. Maigre consolation, il nous reste encore un Golovanov.

* Il n’est pas certain que ce voyageur de l’extrême soit très connu chez nous. Ma rencontre avec Vassili Golovanov tient du hasard alors que je déambulais dans les allées du Festival des étonnants voyageurs de Saint-Malo en 2010. Au stand des éditions Verdier, je tombe en arrêt devant un curieux ouvrage intitulé Éloge des voyages insensés aussitôt pris en main et feuilleté. Coup de cœur immédiat. De l’autre côté de la table, un homme de petite taille, presque timide, d’allure aussi insignifiante que les paysages qu’il décrit. Comme quoi, la taille, pas plus que la silhouette, ni le premier abord, ne font l’aventurier. Nous avons échangé quelques mots pendant la dédicace. Autant que moi pour engager la conversation, lui-même semblait emprunté pour me décrire son pavé de 500 pages. Il concluait par ces simples mots : « c’est difficile à exprimer, il faut lire pour comprendre ». La lecture fut une aventure, pour ne pas dire un choc. Inutile de préciser si la sortie de ce nouvel opus était attendue.

** Tchevengour d’Andreï Platonov



Titre : ESPACE ET LABYRINTHES
Auteur : Vassili GOLOVANOV
Traduction du Russe : Hélène CHÂTELAIN
Éditeur : Verdier, collection « Slovo »
Publication française : février 2012
Nombre de pages : 248 pages
Format : 14X22cm
Prix : 18,80€
ISBN : 978-2-86432-662-5