mardi 9 octobre 2012

Maylis de KERANGAL : Dans les rapides

Titre : DANS LES RAPIDES
Auteur : Maylis de KERANGAL
Editeur : Naïve
Format : 14,5X18,5cm
Nombre de pages : 113 pages
Parution : janvier 2007
Prix : 12,00€
ISBN : 978.2.35021.086.5





Remonter vers la source alors que l’œuvre n’est encore qu’un mince filet, que l’auteur fait ses gammes et qu’il cherche à se frayer un chemin dans l’ombre des herbes folles, s’avère souvent très instructif. Le premier contact entre le lecteur et l’écrivain se fait rarement à ce moment, mais plutôt quand un ouvrage abouti apparaît sous les feux des projecteurs. Ainsi en est-il de Maylis de Kerangal apparue en pleine lumière à la sortie de Naissance d’un pont et mettant en avant son cheminement au cours d’une lecture publique « le premier livre n’a pas fait de moi un écrivain, c’est-à-dire c’est quelque chose qui s’établit livre après livre. De fait il y a une évolution, un cheminement… » Invitation forte à remonter le temps et découvrir l’écrivain en herbe par un ouvrage écrit en 2006, Dans les rapides, aux premiers contreforts de sa pente montante.
Trois filles de quinze ans, lycéennes au Havre en 1978, regard tourné vers ce qui vient de l’autre côté de l’eau vers l’Angleterre ou l’Amérique. Voilà qu’elles tombent dingues de Blondie, surtout de Debbie la chanteuse du groupe, qu’elles découvrent dans une R16 pistache qui les a prises en stop. Histoire à trois tissée entre le lycée, la maison, le café, les garçons, les fringues et… la musique qu’elles aspirent comme une éponge par tous les pores de la peau. La musique qui unit, puis divise parfois lorsque Kate Bush surgit dans leur champ avec sa voix irréelle. Comme l’amour qui fissure !
Une histoire de jeunesse donc, racontée au plus près, comme si elle avait été vécue, comme l’ont vécue les jeunes de ces années, portés par les musiques venues d’ailleurs comme signe d’une émancipation des jupes parentales à la recherche d’une visibilité. Une histoire collective propre à faire surgir sa propre identité, portée par les anglicismes et les rencontres. Une histoire qui sent le vrai, portée par le détail qui donne l’atmosphère. Livre d’écrivain en herbe encore vierge des défauts nécessaires qui font l’ouvrage grand public où les qualités d’écriture sont déjà là, amplifiées (était-ce toujours nécessaire ?) par un usage immodéré de la métaphore. Et déjà une prédisposition à la surenchère par l’utilisation des listes, et du vocabulaire avec ça, « clair de lune brouillé sur la lande cornouailleuse, passion avide où les corps bouches collées tourneboulent dans le vert des pelouses galloises, fumées berlinoises expressionnistes, rosée du matin sur les visages pâles des amoureux transis, fantômes de la mort, passions interdites, romantisme fébrile ». La musique évoque donc et surtout transporte dans un monde dont on sent bien l’extraordinaire, le verbe, toujours le verbe, « tenue en haleine par au seuil d’un cosmos poussé comme un champignon entre les pierres du rock, comme une herbe tonique surgie dans les interstices d’un béton qui se fendille » (p72). La description se fait dans l’action, ce qui semble donner un mouvement perpétuel au texte sous l’avalanche des mots : « Lise ne pouvait pas attendre, on la connaît, elle et son grand corps démangé par l’impatience qui est sa marque de fabrique, elle dont la carcasse carbure à l’air du temps, faisceau d’ondes matérielles qu’elle capte comme personne dont elle s’empare comme la pie du bijou, enfourne concrètement dans sa grande bouche vorace et convertit en vitamines adéquates pour perforer le futur comme une fusée, elle dont la plus cinglante vexation est de se trouver à côté de ce qui se passe, hors jeu, Lise, la voilà » (p18). Tout cela pour dire que voilà un ouvrage délicieux, proche de l’authentique, qui laisse à penser que la différence entre l’auteur et l’écrivain est assez ténue et réside dans la capacité à mettre de la distance entre soi et le texte, à le rendre universel. Parfois c’est mieux, mais pas toujours.

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