lundi 1 octobre 2012

Maylis de KERANGAL - Lecture publique : tangente vers l'est


Ouvrage utilisé :

Titre : TANGEANTE VERS L’EST
Auteur : Maylis de KERANGAL
Editeur : Verticales
Format : 11,5X17cm
Nombre de pages : 128 pages
Parution : janvier 2012
Prix : 11,50€
ISBN : 978.2.07.013674.2




À l’heure dite, et même bien passée, la file des participants commence à s’écouler dans la salle, investit les sièges, déborde en tous sens. Il faut faire de la place, serrer les chaises, réquisitionner tout ce qui peut porter une paire de fesses, jusqu’à la petite estrade qui devait mettre en valeur l’écrivain. Maylis de Kerangal, livre en main, figée, roule des yeux de biche apeurée. La soirée tranquille entre amis se transforme en show dont elle va être la vedette. Tendue, stressée, les lèvres blanches, recroquevillée dans sa robe chasuble bleue et ses collants noirs, elle se rapetisse de minute en minute, tant qu’on se demande si elle ne va pas s’effondrer. Pour le confort de la lecture, elle a tenté de rassembler son opulente chevelure avec ce qui ressemble à une aiguille à tricoter, mais une mèche rebelle se détache qu’elle essaiera en vain de faire entrer dans le rang. Et l’attente dure bien un quart d’heure.
Enfin l’animateur du jour souffle dans le micro, souhaite « bonne année » au public, avoue le tremblement, le stress qui l’empêche d’accéder à ses notes, puis présente l’invitée, cite Raphaëlle Rérolle du Monde des Livres « c’est une langue extraordinaire, puissante, saccadée, mariant les tons comme les personnages avec une grâce violente et charnelle ». La présentation se poursuit, originale. L’animateur retrace, la carrière d’éditrice, d’encyclopédies de voyages chez Gallimard, avant celle de l’écriture. Et l’invitée prend la parole au bond, se détend, oublie un peu de son stress, explique, s’anime. Quelques échanges de balles pour évoquer le chemin, lent, vers l’écrivain, l’importance du voyage, de sortir de soi, de chez soi, pour écrire, le voyage encore, en 2010, dans le cadre de l’année France-Russie, 6000 kilomètres de Transsibérien entre Novossibirsk et Vladivostok pour aboutir au livre qui sort aujourd’hui, Tangente vers l’est. Place à la lecture.
Décor dépouillé. Un mur blanc, un micro sur pied et la lectrice, son livre à la main, sans pupitre. Encore une légère hésitation, puis elle se lance. « Ceux-là vienne de Moscou et ne savent pas où ils vont… des gars, jeunes, blancs, pâles même, hâves et tondus, les bras veineux le regard qui piétine… la chaînette religieuse sur le poitrail », de sa main libre, Maylis de Kerangal accompagne d’un geste bref sa description, montre le « marcel kaki », la chaînette, le poitrail sans jamais lever la tête, ni interrompre sa lecture. Et elle lit vite, ton monocorde, regarde furtivement sa montre comme si le temps lui était compté. En une dizaine de pages, elle nous plante le portait complet du conscrit Aliocha et son envie de fuite comme une dernière chance.
Tangente vers l’est est la star de la soirée, l’unique objet de la lecture. Sous ce projecteur puissant, l’enjeu d’un tel exercice consiste à susciter la lecture, à donner envie, en dire assez sans en dire trop, retracer l’atmosphère de ce train pas comme les autres, évoquer ceux qui l’utilisent et le pays parcouru à travers les vitres et le comportement des autochtones voyageurs. Sans oublier le récit car le train est source d’histoires, de rencontres ou de ruptures. Dans le choix des textes, Maylis de Kerangal a réalisé un sans-fautes en trois extraits pour trois personnages et un embryon d’histoire, le reste se diluant dans l’ensemble. Il fallait tout et tout demandait trois quarts d’heure sans batifoler. Mission accomplie, aidée en cela par la qualité du texte, une alternance de phrases sèches et d’autres en poupées russes qui finissent par s’épuiser d’elles-mêmes comme un ricochet à bout de forces. L’on retrouve l’énergie et le dynamisme de la Naissance d’un pont, c’est presque sans surprise. À peine regrettera-t-on en fin de lecture une litanie facile sur la Russie vue de France, un survol trop haut pour présenter un réel intérêt. Invitation peut-être à privilégier à l’avenir la densité plutôt que la quantité.
Le public ne s’y est pas trompé et la salve d’applaudissements fut longue à se calmer lorsque l’invitée, à bout de souffle mais libérée, refermait le livre au bout d’une prestation de longue durée et de grande qualité. Dans un petit coin de la salle, le libraire du coin avait le sourire aux lèvres : ses livres se vendaient comme des petits pains.

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