mardi 6 novembre 2012

Christa WOLF - Médée



Titre : MÉDÉE
Auteur : Christa WOLF
Traduction de l’allemand : Alain Lance et Renate Lance-Otterbein
Éditeur : Stock
Nombre de pages : 292 pages
Format : 11X18cm
Publication française : Fayard 1997
Présente édition : Stock 2001
Prix : 9,14€
ISBN : 978-2-23405359-5






« Particulièrement sombre, la légende de Médée est constituée d’une succession de meurtres et de fuites… » dit Wikipédia. La magicienne de Colchide n’a pas bonne presse. Christa Wolf s’attache à donner une autre version des faits, sa version « j’ai vu que ce prix était trop élevé pour nous tous. Je n’avais d’autres issue que la trahison » se défend-elle pour justifier le vol de la Toison d’Or. Seule concession au mythe. Le reste, elle le conteste. Les ossements du jeune frère mort, elle les a trouvés et rassemblés, pas davantage. À Corinthe où elle à suivi Jason, l’étrangère de Colchide n’est pas bien vue de tout le monde. Les rumeurs enflent, se répandent en cascade. Christa Wolf donne la parole à plusieurs des protagonistes, les voix se succèdent, se confient au papier et se dévoilent sans détour, apportant ainsi de l’eau au moulin de Médée : Jason et ses hésitations, Agaméda et sa jalousie, Akamas l’arriviste prêt à tout, Glaucé et ses faiblesses, Leukos, l’ami de la magicienne. Les témoignages construisent ainsi une histoire où la Colchidienne apparaît plutôt victime de la rumeur que source de tous les maux corinthiens. Et la preuve, Médée la trouve dans les souterrains du palais : « de deux choses l’une : j’ai perdu la raison ou leur ville est fondée sur un crime. »
Quelle valeur donner à cette version des faits. Aucune, d’autant qu’aucune source n’est citée. Alors pourquoi s’intéresser à cette Médée dont bien peu se soucient ? La réponse est en quatrième de couverture : « en revisitant ici l’histoire légendaire de la magicienne Médée, Christa Wolf affronte aussi son propre passé avec une confondante sincérité. » Le texte de l’ouvrage, ainsi ramenée à la biographie de l’auteur, prend une autre dimension. Et le rapprochement est aisé quand on sait qu’au moment de la disparition de la RDA d’où elle est originaire, l’œuvre de Christa Wolf a donné lieu à certaines controverses, l’Allemagne occidentale reprochant de n’avoir jamais critiqué l’autoritarisme de la RDA ou encore « d’avoir été au service de la STASI. »
Médée ainsi modernisée sous les traits de Christa Wolf, le parallèle devient saisissant entre cette Corinthe aux mœurs modernes cachant un cœur pourri, « À Corinthe, la femme doit toujours payer quand elle voit un homme dans un moment de faiblesse » et la Colchide regrettée, primaire mais vraie. Soit par la bouche même de Médée, soit par les voix qui s’expriment dans le livre, Christa Wolf dresse une critique acerbe de la société et de ses dirigeants manipulateurs, capables de tout pour arriver à leurs fins, quitte au sacrifice d’un bouc-émissaire, « Voilà, c’est ce qu’ils veulent. Que pour les générations futures, je demeure celle qui a tué ses enfants, les enfants de Jason aussi. »
Que dire de la forme ? Le choix des voix est habile, il rompt la monotonie du monologue et ajoute indirectement des arguments au message à transmettre. Malgré cela, l’argumentaire est appuyé, la souffrance de Christa Wolf devait être forte. Pour le lecteur, malgré les précautions préalables posées par l’auteur, liste des intervenants et qualité, le démarrage est délicat pour le néophyte, la mise en place du décor laborieuse, les retours nombreux au lexique sont nécessaires. À la deuxième voix (Jason), la lecture devient limpide et presque agréable et l’on passe sans difficulté de l’un à l’autre des intervenants.
À la question finale « Y a-t-il un monde, une époque où j’aurai ma place ? », Christa Wolf a choisi de rester dans son pays. Cela lui a-t-il réussi ? Jusqu’à la fin de sa vie, l’auteure est disparue en décembre 2011, elle a porté sa souffrance puisque son dernier ouvrage, Ville des anges, reprend cette période douloureuse durant laquelle elle a choisi de prendre de la distance en séjournant quelques mois à Los Angeles avant de revenir au pays.

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