mardi 6 novembre 2012

Emmanuelle PAGANO - Les Adolescents troglodytes



Titre : LES ADOLESCENTS TROGLODYTES
Auteur : Emmanuelle PAGANO
Editeur : P.O.L.
Format : 14X20,5cm
Nombre de pages : 216 pages
Parution : 2007
Prix : 14,90€
ISBN : 978.2.84682.187.2






Le quotidien d’Adèle, conductrice de navette scolaire, c’est deux tournées aller et retour, les collégiens d’abord, les petits ensuite, à travers la montagne, quel que soit le temps qu’il fait. Un moment à partager dans un espace réduit, un minuscule salon où l’on cause parfois, où l’on fait silence aussi, où circulent racontars et cancans, devant l’adulte qui se tait et répond par une pirouette lorsque les enfants jouent les curieux. La jeune femme réserve ses confidences au livre, comme dans un journal intime, raconte son enfance au village avant l’engloutissement par le lac, l’avant et l’après, la connivence avec le frère cadet lorsqu’elle était petit garçon, la brouille qui a suivi, la lente dégradation du père.
Cette Adèle-là a la sensibilité à fleur de peau. Rien qu’à les observer du coin de l’œil ou par le rétroviseur, « les jumeaux sont encore de mauvaise humeur. Ils traînent depuis ce matin une grosse dispute entre eux seuls, une dispute dont la raison restera secrète… leur fratrie est stellaire, avec une étoile du soir jumelle de l’étoile du matin », elle devine les jours sans et les bons jours de ces gamins.
Par tous les sens aussi, elle s’imprègne de cette nature difficile qui ne lâche rien, décline les saisons en un hymne aux couleurs à la manière d’un écrivain impressionniste : « L’automne de littérature il ne dure pas. La flamboyance, les orangés lyriques des fayards, les ocres brillants des saules… les rouges massifs étalés écarlates des érablières, ou à l’inverse les rouges en pointillés et piquants des érables isolés dans les jaunes des autres arbres, juste le temps de la décrire, le temps pour le vent de retourner au sol quelques feuilles, et deux ou trois trajets avec mes gosses, c’est fini ».
À d’autres instants, elle se fait intime, se dévoile à corps ouvert, par moments il, par moments elle, dans une ambiguïté qui ne se lève qu’à petites touches jusqu’à l’explosion finale, d’autant que l’amour vient s’en mêler et nous emmêle.
Dans ce flou quotidien, le bonheur se construit pour cette fille native du pays, autour du frère retrouvé d’abord, de l’homme aimé ensuite. Ce bonheur-là serpente entre le vide et l’inaccessible, comme cette route de montagne qu’elle emprunte chaque jour d’école.
Quand la neige impose sa loi, dans la promiscuité d’une grotte nait la solidarité entre adulte et ados, une intimité propice aux confidences, au coin du feu, et la révélation arrive, qui bouscule. Rien ne sera comme avant. Adèle assure.
Emmanuelle Pagano mène ici une histoire complexe dans la peau d’une autochtone, un quotidien ordinaire pour une vie qui ne l’est pas. Imbriquant avec talent présent, passé et au compte-gouttes les bribes d’un dénouement inattendu mais logique. Elle nous trace en même temps l’existence ordinaire en milieu reculé, où survivent ruraux et rurbains, où tout est retiré mais aussi tout se sait, enfin presque, en mettant le tout dans cet ilot étroit que forme un véhicule scolaire.
En parallèle, par un texte à l’écriture dépouillée mais sensuelle, elle nous fait vivre au contact de cette nature rude, changeante, mais si belle qu’il fallait qu’elle la connaisse bien pour nous la faire partager d’aussi belle façon. Des ingrédients nécessaires à réunir pour faire d’un minibus, de quelques enfants et de leur conductrice un très beau livre qu’il aura fallu lire deux fois pour en apprécier au mieux le suc.
Entre fiction et autofiction, en public, elle a choisi d’en rire « Ils me font bien rire, les débats sur l’autofiction/fiction… Quand on écrit, tout est fictif et tout est réel, et même : plus c’est fictif, plus c’est réel. Je crois bien, même, que les écrivains n’ont pas de vie personnelle, et que tout ce qu’ils écrivent est, a été, ou sera réel. » (extrait d’une plaquette de lecture publique).
Récemment, avec d’autres mots, le Goncourt 1990 Jean Rouaud ne disait pas autre chose. Et on abonde.

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