vendredi 9 novembre 2012

Jean ROUAUD - Une façon de chanter



Titre : UNE FAÇON DE CHANTER
Auteur : Jean ROUAUD
Editeur : Gallimard
Format : 14X20,5cm
Nombre de pages : 211 pages
Poblication : 18 mars 2012
Prix : 17,90€
ISBN : 978.2.07.013729.9





Jean Rouaud aime à dire que la mort annoncée du roman avait fait de lui le romancier de la mort. Il est vrai que ce nouveau livre débute par une disparition, celle du cousin Joseph, le camarade de jeux de l’enfance, un évènement propre à faire resurgir une tranche de vie, à se pencher à nouveau sur l’évolution du siècle passé. Une façon de chanter est donc le deuxième volet d’une trilogie intitulée La vie poétique, un titre tiré d’une lettre de Rimbaud à sa mère « Si je me plains c’est une espèce de façon de chanter ».
Une entrée en matière qui permet à l’auteur de décliner les deux façons de chanter de ce siècle. D’abord, à l’image du cousin Joseph, une première moitié figée, menée par la tradition aux valeurs de la religion, du travail, de l’engagement, du respect des parents ; à la commune où l’on est né aussi ; surtout au qu’en dira-t-on et au bien-pensant. Un demi-siècle où la musique, classique, était réservée aux classes dominantes. Pour les classes populaires, on en restait aux chansons un peu niaises du début de siècle, entendus à la TSF ou proposés par le colporteur.
Le transistor a bousculé tout cela en glissant entre les oreilles étudiantes des sons anglo-saxons pendant que la guitare mettait la musique à la portée du plus grand nombre. Le jeune Rouaud y est sensible : dans ce bain étudiant, il nourrit sa personnalité s’essaie même à composer. Il nous propose en prime en bandeau un surprenant cliché de lui, le cheveu déjà long, bouche légèrement boudeuse, étirée dans l’application qu’il met à gratter l’instrument. De là à saisir donc le vent frais de cette musique métallique pour se libérer du carcan familial et tenter sa chance vers le sud, un pas qu’il franchira, guitare du cousin Joseph sur le dos, sa première guitare.
L’écrivain s’attache à démontrer que la musique est à l’origine des évènements de 68, de la libération des mœurs et des corps. Acerbe pour cette vieille France du début de siècle et pour ce qu’il en reste, « l’église phénoménale, incongrue par ses dimensions dans un bourg aussi réduit, dominant les maisons alentour de sa masse pierreuse », l’auteur adhère à cette modernité qu’il l’utilise abondamment sous sa forme actuelle, celle de l’internet, pour argumenter son étude de fragments vidéo dont il tire des commentaires délicieux et persuasifs, « à ce moment, l’objectif de la caméra attrape un grand énergumène blond, qui secoue la tête dans tous les sens, agite ses bras comme s’il cherchait à s’envoler, de sorte qu’il s’est créé autour de lui un espace libre… », autant de dires qui appuient l’analyse de l’écrivain. Jean Rouaud a fait le choix de privilégier l’histoire personnelle, sa jeunesse ici, pour mener à bien son regard sur le siècle. Si la fiction est présente, l’auteur la revendique, « je n’ai pas la photographie sous les yeux … mais elle a existé vraiment, contrairement à beaucoup que j’ai inventées pour les besoins de ma narration », elle ne parait pas dans le texte, l’anecdote donne foi aux mots et permet à l’auteur de développer, digresser même, pour mieux convaincre, allant même jusqu’à se dévoiler. Mais l’homme n’est pas toujours complaisant avec le jeune Rouaud qu’il a été. C’est le pouvoir de l’écrivain, prendre du recul pour donner plus de force à son propos. Par ailleurs, il affirme que l’écriture vraie vient de l’intérieur, la contradiction amène le doute et c’était peut-être là son but. Si tel était le cas, opération réussie.
Question forme, le style comparé à celui de Proust pouvait faire craindre une certaine pesanteur à la lecture. Si certaines phrases s’allongent, le lecteur ne perd jamais le fil et finalement le style est assez limpide et agréable à la lecture. C’est l’essentiel : dans ce quotidien, ces petits riens qui font la vie et cette analyse serrée de ce que fut une jeunesse, l’on ne s’ennuie pas une seconde, parfois l’on rit de ce que l’on a pu être, ce garçon ou cette fille, droit dans son corps, raide, hésitant à se laisser aller, à lâcher son corps sous le couinement métallique des guitares d’une époque. Et l’on en redemande, trop vite arrivé au bout d’un ouvrage très abouti finalement.

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