jeudi 15 novembre 2012

Yanick LAHENS – Failles



Titre : FAILLES
Auteur : Yanick LAHENS
Genre : Récit
Éditeur : Sabine Wespieser
Format : 14X18,5cm
Nombre de pages : 160 p
Parution : octobre 2010
Prix : 15,00€
ISBN : 978-2-84805-090-4






« Nous l’aimions, malgré sa façon d’être au monde qui nous prenait souvent à l’envers de nos songes. Nous l’aimions têtue et dévoreuse, rebelle et espiègle. » De qui Yanick Lahens parle-t-elle au passé ? D’une femme ? D’une amie ? Perdu. D’une ville. De la ville de Port-au-Prince. Port-au-Prince avant le 12 janvier 2010 à 16 heures 53 minutes.
À ce moment précis, la ville « a été chevauchée moins de quarante secondes par un de ces dieux dont on dit qu’ils se repaissent de chair et de sang. Chevauchée sauvagement avant de s’écrouler cheveux hirsutes, yeux révulsés, jambes disloquées, sexe béant, exhibant ses entrailles de ferraille et de poussière, ses viscères et son sang. Livrée, déshabillée, nue, Port-au-Prince n’était pourtant point obscène. Ce qui le fut, c’est sa mise à nu forcée. Ce qui fut obscène et le demeure, c’est le scandale de sa pauvreté. »
Qui mieux qu’une native résidant au pays pouvait parler, avec des mots aussi bien choisis, du tremblement de terre d’Haïti. Elle livre dans cet ouvrage, par les mots, sa vision de la catastrophe, pas comme un journaliste qui fait trois petits tour et puis s’en va, ni comme d’autres (Dany Laferrière…) présents sur les lieux au moment du drame et qui s’en sont allés écrire au loin, mais comme une autochtone connaissant à fond son sujet, comme actrice de multiples façons du relèvement de son pays, ou du moins de la tentative de relèvement, sans complaisance, où les bons ne sont pas toujours ceux qu’on croit, tout cela dans une langue pure d’une grande pureté.
« FAILLES fut le premier titre qui vint à moi  ». Failles ! Un mot à double sens, une fracture de l’écorce terrestre sous la poussée des plaques. Haïti est traversé par plusieurs de ces failles qui se suivent, s’entrecroisent, multipliant ainsi le risque de séisme. Devant les alertes lancées par certains, « rien ne bougeant en dessous de nous, la grande majorité a choisi le déni. », mais le  déni existe aussi à l’échelle de la planète, «  nous avons oublié que le terre vit », comme le déni existe dans le sens de faillir  « face aux grands déficits politiques, économiques et sociaux de notre île ». Et les mouvements de surface sont des « failles mortifères tout aussi meurtrières que les séismes. »
Derrière le titre, il sera donc question du tremblement de terre, de cette faille entre avant et après et de ses conséquences. Et l’angle de vue est celui d’une victime qui s’inquiète pour ses proches, dort dans sa voiture, entre à reculons dans sa maison par peur des répliques, va à la rencontre des autres pour dire, Pétion-ville, Canapé vert, Delmas, Haut de Turgeau, Debussy et Pacot… Elle accueille aussi cette femme inconnue V. partie à la recherche du corps de son conjoint « et je pense à cette absence plus terrible que la mort. Dans la mort ordinaire, le corps, preuve palpable, devient une pièce à conviction. Irréfutable. » Irréfutable pour entamer le dur travail du deuil. Par le quotidien qu’elle montre sans détours, « la maison est pleine comme un œuf »,Yanick Lahens apporte à touches fines, micro-événement après micro-événement,  la preuve « irréfutable » que « les Haïtiens ont été les premiers sauveteurs d’eux-mêmes, on ne l’a peut-être pas assez dit… Cette entraide toutes catégories sociales et toutes couleurs confondues. Une épiphanie. » Constat sévère devant l’exode des populations « ces femmes et ces hommes lâchés le long des routes ont un flair, un nez bien à eux. Cela fait deux siècles qu’ils ne croient  plus ni aux gouvernements ni aux promesses des hommes politiques, ni à celles des pouvoirs économiques ni à celles des intellectuels, ni à moi, ni à vous. » Et le pays, malgré les camps de tentes bleues, se remet à vivre. « Trois évènements m’ont indiqué que l’ordinaire des jours très ordinaires tissait sa toile : la réouverture des écoles, les rencontres éliminatoires de la Coupe du monde et la veillée », le rite de la veillée mortuaire.
À côté du quotidien, Yanick Lahens dresse « un tableau sans complaisance », mettant le doigt sur les insuffisances des uns et des autres sans oublier les intellectuels dont elle fait partie : La presse mondiale déferlant sur le pays pour des clichés approximatifs qu’elle démonte : « à cette heure, dans les administrations publiques, n’étaient présents que ceux qui en constituent l’épine dorsale… La faille nous a ravi quelques-uns de nos meilleurs cadres…On préférera plutôt, sans nuance aucune, claironner l’incompétence et la corruption absolues de toute l’administration publique haïtienne » ; l’homo politicus faible dans l’épreuve, « au milieu de tant de tiraillements et de pesanteurs, il reste évidemment peu de place pour une quelconque conviction. » et son pendant l’homo economicus qui « préfère manipuler les ficelles dans les coulisses de tous les pouvoirs… » ; les élites « tous secteurs confondus (politiques, économiques, intellectuelles et celles de la diaspora) » ; les ONG omniprésentes, « entre six mille et huit mille, et même dix mille… du jamais vu » et qui dérangent « cette ONG américaine qui empoisonne désormais la vie de l’impasse ».
Peu à peu, la source tarit, « le temps s’étire, prend ses aises, retrouve ses marques ». Après les mots « sortis comme des éclats d’un corps », d’autres refroidis, mesurés, pour un chapitre de fin très ciselé, une analyse d’une grande finesse qui trouve des signes d’espoir pour l’avenir. Une chose est sûre, Yanick Lahens aime son pays et nous le fait aimer aussi. Après cette lecture, le regard sur Haïti ne sera plus le même, il fallait redresser les choses, c’est fait, on est convaincu.  

1 commentaire:

  1. Haïti sur les Inrocks: Le temps des mutants.
    Trois ans après le terrible séisme d'Haïti, le magazine Les inrockuptibles publie un reportage sur la reconstruction haïtienne. L'article laisse une large place à l'écrivaine Yanick Lahens et son ouvrage Failles. "rares sont les ouvrages à avoir su en tirer des conclusions aussi lucides et dégager des perspectives aussi essentielles pour l'ensemble du pays".

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