dimanche 25 novembre 2012

Yves SIMON - La Dérive des sentiments



Titre : LA DÉRIVE DES SENTIMENTS
Auteur : Yves SIMON
Editeur : Grasset
Format : 13X20.5cm
Nombre de pages : 263 pages
Parution : 1991
Prix : €
ISBN : 978-2-24645491-5






De l’homme discret qu’est Yves Simon, je n’ai longtemps partagé que des mélodies à contre-courant du moment et des textes, rythmés, peu chantant, parfois parlés, susurrés à l’oreille, distillant lentement ses douceurs comme un Diabolo Menthe qu’on avale gorgée par gorgée entre deux bouffées de Gauloises bleues. En même temps s’instillait le désir de mieux connaître l’homme par l’écrit, deuxième facette de son talent. En 1991, arrive chez les libraires La Dérive des sentiments, prix Médicis, un titre évocateur de gigantesque, d’une lenteur à la limite du perceptible avec des bouleversements irrémédiable. Passage à l’acte et déception : un roman, loin des romans conventionnels, qui n’en n’avait que le nom pour une histoire incompréhensible, décousue, sans queue ni sens. Par déférence comme par respect de l’environnement, l’ouvrage évitait de peu la poubelle pour finir dans un coin inaccessible de ma bibliothèque.
Vingt années plus tard, une maturation « lente » s’étant forgée sur quelques centaines de livres, l’écrivain chanteur se rappelant au public sous la forme d’un nouvel album Rumeurs suivi d’une apparition aux Francofolies de la Rochelle, ont fait naître chez le lecteur déçu une envie nouvelle de gommer le premier échec et l’incompréhension installée entre l’écrivain et son lecteur.
Ça démarre comme une autofiction et le premier contact n’est pas gai, gai. « Ma mère m’avait demandé de ne pas mourir avant elle. Je le lui avais promis, et mes envies de m’engloutir en me jetant un soir dans la Seine… s’étaient transformées en regards frileux vers les surfaces d’eau… » En séquences courtes, vingt-huit tableaux d’une, voire deux pages, le narrateur raconte de façon un peu décousue les avatars de son existence. Une lente descente que le positif n’arrive pas à retourner, entrecoupée de rencontres, Kaspar George Becker, l’écrivain reconnu, madame Dior la concierge, monsieur Amédée le nègre. Puis le narrateur disparaît.
Apparaissent alors deux jeunes amoureux, Marianne et Simon. L’ouvrage reflète bien son titre : une dérive d’histoires, une histoire de dérives, des sentiments au gré des courants parce que sans racines et sans avenir, sans une dorsale verticale contre laquelle s’appuyer. Comme des continents lentement mis en mouvement par d’étranges courants de convection, des vies s’éloignent ou s’affrontent, livrées à un mouvement sur lequel elles ne peuvent rien, profitent un moment du calme d’un méandre avant de s’emballer avec la fougue d’un torrent bouillonnant entre les cailloux.
Et on perd le fil entre la fiction et la réalité. L’histoire du livre s’écrit sous les yeux du lecteur, les tiroirs s’ouvrent et se referment sans qu’on sache vraiment où est le vrai, où est le faux. Les schémas tout faits volent en éclat et la tentation est grande d’abandonner le chantier en cours s’il n’y avait cette étude fine des sentiments menée de main de maître par Yves Simon et la qualité de l’écriture. À coups de phrases ciselées avec une précision d’horloger, dans la dérive des vies, des histoires se nouent ou se dénouent, des existences s’éloignent où se retrouvent et finalement l’écrivain auteur se sert habilement des personnages fictifs pour sortir l’écrivain acteur du marasme de son existence.
Un ouvrage difficile à lire où le moindre relâchement dans l’attention fait perdre de fil d’une intrigue qu’on découvre à la façon des poupées russes. La solution n’apparaîtra que lorsque le lecteur aura reconstitué l’ensemble sans omettre aucune pièce du puzzle. Un grand roman qu’il faut mériter pour apprécier à sa valeur avec des mots parfaitement choisis, un art de la métaphore maîtrisé à la perfection et une vaste culture qui transparaît sans indisposer, car souvent bienvenue. Il m’a fallu deux lectures consécutives pour passer de l’incompréhension à une admiration que je pense profondément ancrée désormais. Une troisième lecture (qui n’est pas exclue) serait peut-être nécessaire, ne serait-ce que pour revenir vers le message délivré par l’auteur dans sa propre recherche du sens de la vie.

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