jeudi 27 décembre 2012

Emmanuel HOCQUARD, Une grammaire de Tanger



Titre : UNE GRAMMAIRE DE TANGER
Auteur : Emmanuel HOCQUARD
Éditeur : cipM (Centre International de Poésie de Marseille)
Collection : ‘‘ Le Refuge de Méditerranée ’’
Format :15X21cm
Nombre de pages : 40 pages
Prix : 10€
ISBN : 978-2-909097-68-8






Quelle étincelle peut provoquer la rencontre entre le futur lecteur et l’auteur. Cela tient à peu de choses. Dans l’étalage des rayons, un ouvrage effacé, couverture sans illustrations, petits caractères, incapable de faire le poids face aux couvertures rutilantes qui le cernent. Un mot comme un flash : GRAMMAIRE. Interrogation ? Que peut apporter de neuf Une grammaire de Tanger face à la grammaire traditionnelle, sèche, disciplinaire, presque militaire sur laquelle on a ahané au temps des apprentissages. La curiosité pousse à prendre le livre en main pour en découvrir quelques extraits. Le texte parle. La proie est dans l’épuisette. La portée du livre ne se mesure pas à la longueur. Devant nous, une grammaire de trente pages tout au plus, mais c’est du lourd, de la densité du plomb. L’ouvrage doit la vie à une résidence d’écriture à Tanger, là même où Emmanuel Hocquard fut écolier, puis lycéen, du temps où « la ville était sous statut international, entre 1945 et 1956. » La grammaire de Tanger n’est pas celle que l’on connaît, complexe avec ses noms, verbes, adjectifs, pronoms ou adverbes, ses accords tarabiscotés, ses conjugaisons bourrées de pièges, son fourmillement d’exceptions qui confirment les règles. Celle-ci, déclinée sur une vie, est un cheminement qui conduit à l’écriture poétique.
Ce long parcours s'est appuyé sur trois piliers : un apprentissage difficile de la lecture, dans des manuels d’une autre époque, dans « une ville ne venait qu’au troisième rang des langues véhiculaires, après l’arabe et l’espagnol », décalage profond apte à conduire à l’abstraction. Et le déclic se produit face à une phrase irréelle « La maison forestière est comme noyée dans cet océan où seules la cour et le jardin font un grand carré clair. » Conséquence directe : l’écriture d’un premier poème à six ans.
Le problème de la phrase est que, si elle « permet de dire ou d’écrire ce que nous disons et écrivons comme ça, elle empêche aussi (ou ne permet pas) de dire ou d’écrire autrement que comme ça. C’est dans ce sens que Roland Barthès a pu écrire que “la langue est fasciste” ». Dans une démonstration percutante, Emmanuel Hocquard utilise les services d’un archéologue, Montalban pour l’occasion, d’un horloger dérangé et d’un projectionniste ivre pour arriver cette conclusion que si « un langage déréglé est un langage dépourvu de sens, cela revient à simplement à reconnaître que le sens n’est pas dans les mots mais dans les règles » et d’affirmer « faire bouger les règles du langage … est l’enjeu de toute littérature ».
À la narration, représentation linéaire des causes et faits, on peut comparer le récit où les « propositions se suivent sans pour autant s’enchainer de manière discursive. » dont « les évènements sont les éléments d’une construction ». Et l’écrivain de terminer son argumentaire par un bloc prose de neuf phrases courtes, « aucune ligne discursive ne relie ces neuf propositions » dont il tire une chute du plus bel effet : « Ici l’énoncé n’est pas une représentation. Il n’explique rien, rien ne l’explique. Il est là “comme notre vie”.» Quand on saura que l’auteur de la page est Claude Royet-Journoud, « considéré comme un poète », on vient de toucher là la substance même de la poésie. Trente pages ont suffi !

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