lundi 8 avril 2013

Alina REYES – La nuit


Chez Ed. nous ne connaissions d’Alina Reyes rien d’autre que ce qu’elle disait d’elle dans une entretien avec Bertrand Révillion datant de mars 2009 et publié sur le mensuel Panorama. Elle y racontait entre autres ses débuts surprenants avec « Le Boucher », une nouvelle exotique très médiatisée qui classera la jeune auteur dans la catégorie « écrivain érotique ». Une notoriété fulgurante basée selon elle « sur un complet malentendu ». La remise en question aboutit à la conversion spirituelle, « je ne suis pas passée de l’athéisme à la foi. Ma « conversion » a consisté à reconnaître enfin la présence de Dieu en moi ». Itinéraire suffisamment singulier pour s’intéresser par l’œuvre à cet écrivain atypique.
Le livre support, La nuit, édité en 1994, est plutôt un ouvrage de début d’une carrière puisque celle-ci commence en 1988. Nous sommes plongés dans une nuit d’encre, pluvieuse et venteuse, à ne pas à sortir un doigt dehors, une nuit qui conduit pourtant une femme en fuite, responsable d’un accident mortel, vers le cul-de-sac d’une mystérieuse demeure habitée par trois hommes. Une demeure aussi marquée par l’absence et l’attente d’une autre femme. Pour l’inconnue, une nuit agitée s’annonce entre la peur de l’obscurité et l’attirance de la curiosité. Peu farouche, la visiteuse passe, si l’on peut dire, dans les mains successives des résidents du château labyrinthe. Dans une sorte de rêve éveillé, l’auteure promène son lecteur par de longs couloirs vers un univers singulier, sorte de société secrète basée sur l’ésotérisme et l’histoire ancienne, « dans une autre [pièce], des divans aux formes courbes, disposés en rond, dégageaient au milieu une sorte d’arène qui faisaient penser à une grande toupie morte, à cause du piquet en bois dressé comme un totem au centre du cercle et de la spirale, peinte en rouge sur le sol, qui partait de la base et se déroulait jusqu’au pied des divans ». Ambiance donc! Les divans ne seront pas utiles pour accoucher les résidents de leurs secrets personnels et des secrets des lieux devant l’inconnue comme s’ils n’attendaient qu’elle dans un étrange délire onirique.
Cette femme de « La nuit » mène donc une longue quête de lumière en se laissant porter par les hommes et les lieux dans une atmosphère où la confiance, la volonté de trouver, l’emportent sur la crainte. Avancer coûte que coûte, braver, donner plus d’importance au passé qu’au présent peut-être pour mieux le comprendre et sortir ainsi de sa nuit personnelle. Cette inconnue plongée dans l’inconnu, qui s’exprime à la première personne, est-elle si loin d’une certaine Alina Reyes brûlée par le succès récent, en pleine recherche d’un sens à sa vie ?
C’est sans doute aller un peu vite : découvrir qui on est, d’où l’on vient, où l’on va, demande davantage que « La nuit » du livre. Hors de la fiction, dans la vie menée (depuis 2009) par l’auteure, et par la personnalité humaine en général, le point final n’est jamais un point final définitif, juste une virgule, une respiration, avant que reviennent le doute et la remise en question. C’est peut-être la différence entre la fiction et la vie et c’est la force du livre que d’entretenir le rêve pour mieux cheminer dans la vie. C’est peut-être là ton message, Alina.
Un seul livre ne dit pas l’écrivain. Juste une photographie à un moment donné. C’est encore plus vrai quand l’œuvre est assez prolifique (33 ouvrages en 2011, source Wikipédia). La liste des titres publiés suggère en filigrane l’évolution de l’auteur, sortie du cliché d’ « écrivain érotique » pour la stature beaucoup plus sérieuse de l’auteur mystique des derniers écrits. Cela passe par une phase débridée, une certaine révolte, nécessaires peut-être pour mieux sortir des poncifs de la profession. À sa façon, dans La nuit, par son écriture onirique, mystique parfois, Alina Reyes esquissait déjà quelques facettes de sa personnalité future.
Depuis 2011, l’écrivain n’a publié aucun titre nouveau sur papier. Qu’est-elle devenue ? Rangée des rayons, retraite, reconversion, penserez-vous peut-être ? Vous ne croyez pas si bien dire car c’est exactement cela, oui, dans les deux sens du terme. Une reconversion. Une conversion spirituelle vers une autre religion d’abord. Un retrait ensuite des circuits traditionnels du livre qui l’ont laissée complètement lessivée avant de l’abandonner sur le carreau. Celle qui se dit toujours écrivain a entamé une vraie révolution. Plus d’ouvrages papier, passage aux circuits courts par le biais du numérique, au moins pour les ouvrages dont elle a récupéré les droits. Sur son blog, (http://alinareyes.net/) tout est dit : « révolution discrète, douce et profonde ? Dans la forme et dans le fond ? Ici l’auteur et le lecteur se retrouvent sans intermédiaires ni œillères. Dans une œuvre où le verbe conjugue la chair et l’esprit, explore et assume tout l’être. Qu’il libère l’esprit humain, en son entier ! Bon voyage. » (page d’accueil du site). Plus loin, on en apprend un peu plus : « Alina Reyes y édite elle-même ses livres numériques. Vous y trouverez ses nouveaux livres, inédits. Ainsi que ses livres déjà publiés sur papier – romans, poésie, essais –, qui seront progressivement tous reproposés ici, sous une forme révisée ou augmentée, voire réécrite ».
À la manière d’Elfriede Jelinek(1), Alina Reyes fait désormais de ses textes des créations vivantes, évolutives et mortelles qu’elle s’autorise à modifier comme elle l’entend, quitte à les supprimer si cela lui chante. L’écrivain se dissout derrière le texte, le texte vit, il appartient au lecteur de le saisir. Cette démarche, très éloignée du monde pas très clair de l’édition, très éloignée aussi des pouvoirs de l’argent par le fait des circuits courts, est très plaisante par cette relation directe auteur-lecteur qu’elle crée, une relation sans contraintes, ni pression, une relation vraie où les mots prennent le devant de la scène en effaçant le livre produit. C’est déjà notre façon de voir chez Ed. et nous la développerons encore plus dans nos pages.


1- Dans une ancienne chronique, à propos d’Elfriede Jelinek, sur Les Livres d’Ed. on pouvait lire l’extrait suivant : « Enfin, il y a le rapport singulier de l’auteur au papier, disons plutôt l’absence de rapport avec le papier, puisque Elfriede Jelinek publie désormais sur internet (en langue allemande, quel dommage), presque en temps réel, des œuvres offertes au lecteur lambda, dont elle dispose à sa guise, qu’elle peut retoucher et même faire disparaître si bon lui semble. Un circuit court entre producteur et consommateur bien sympathique. »



Titre : LA NUIT
Auteur : Alina REYES
Éditeur : Joëlle Losfeld
Parution : août 1994
Format : 15X21cm
Nombre de pages : 120 pages
Prix : 90,00F
ISBN : 978-2-909906-23-2






2 commentaires:

  1. Bonjour, et merci pour cet article qui donne un lien vers mon site. Je veux juste préciser que vous y imaginez beaucoup de choses fausses quant à ma vie. Mieux vaut ne rien dire quand on ne sait pas, et se contenter de parler des livres ! Où avez-vous pêché cette absurdité que j'aurais été "en pleine recherche d’un sens à (m)a vie" ? Ou bien cela : les "circuits traditionnels du livre qui l’ont laissée complètement lessivée avant de l’abandonner sur le carreau" ? Ou encore : "la stature beaucoup plus sérieuse de l’auteur mystique des derniers écrits. Cela passe par une phase débridée, une certaine révolte, nécessaires peut-être pour mieux sortir des poncifs de la profession". Mes premiers écrits sont aussi sérieux que les derniers, et quant à la révolte vous rigolez ? Je reconnais bien là le paternalisme faux-cul et calomniateur de quelqu'un qui a perdu tout nom, parce qu'un autre est plus grand. Bon courage.

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    1. Chez Ed. il n’est pas dans les habitudes d’inventer ce que l’on écrit. Les livres supports des chroniques sont entièrement lus, parfois même deux fois lus, c’est le cas pour "La nuit". J’admets que l’écrivain puisse reprocher l’interprétation qui est faite de son ouvrage, mais là, c’est le pouvoir du lecteur, il faut l’admettre ou alors ne pas publier. La chronique contestée a été écrite à partir de trois sources : votre livre « La nuit », l’article de Panorama vous concernant (mars 2009) et votre site perso. Dans celui-ci justement, à la page « à propos » (http://alinareyes.net/a-propos), il est écrit en parlant de vous « En rupture avec le milieu de l’édition comme avec l’institution religieuse, ruinée socialement et financièrement mais toujours écrivain… », à rapprocher de la phrase incriminée. Votre biographie détaillée sur votre site internet et les écrits ont inspiré les autres passages contestés. Quant à la fin de votre commentaire « paternalisme faux-cul et calomniateur », je pourrais tout simplement vous retourner le compliment.

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